Des tags et des critiques radicales
L’action en cours de l’ONG Extinction Rebellion (XR) sur la place du Châtelet est le cadre de nombreux échanges entre militants radicaux et modérés.
Dans ce cadre, voici une réponse que je faisais personnellement à une militante qui reprochait aux critiques radicales d’avoir une forme d’intolérance. L’occasion parfaite de rappeler la frontière entre tolérance et acceptation, avec l’illustration de l’effacement du tag en hommage à Selom et Matisse, victimes de la répression policière, effacé parles militant de XR.
Il faut bien le reconnaître, les militants radicaux (de gauche, et écolos radicaux pour le moins…) ont tendance à ne pas tout accepter au motif de la tolérance.
Fondamentalement, les radicaux combattent certaines petites choses comme les discriminations, les inégalités, l’autoritarisme, et plus largement les oppressions systémiques…. De fait, ils mettent parfois des limites à la tolérance, et tout particulièrement vis-à-vis de ces formes d’intolérances, qu’elles soient affirmées ou larvées.
Mais ça s’explique ; car la tolérance sans bornes a une faille. C’est Le Paradoxe de la Tolérance, théorisé par Karl Popper, et qui démontre qu’en tolérant tout, on tolère également l’intolérance elle même. Or comme cette dernière est plus radicale (mais de droite, elle), elle peut tout à fait appliquer l’intolérable, jusqu’à écraser la tolérance elle même en devenant systémique et/ou violente quand elle ne l’est pas déjà.
Autrement dit, pour ne pas risquer de voir disparaître la tolérance, il y a des limites à avoir au sein de la tolérance pour ne pas laisser la porte ouverte à l’intolérance. Et ce sont précisément ces limites que montrent les radicaux de gauche, par la critique des positionnements, des actes, ou plus rarement des groupes ou des personnes.
Or donc, les radicaux (de gauche) se montrent parfois assez intransigeants, agressifs, ou même violents (mais généralement cette violence est plutôt symbolique, ou défensive, contrairement à une violence systémique et offensive).
Mais ce qu’il faut bien voir derrière ces formes, c’est la désignation d’une limite de ce qui est tolérable, et la dénonciation du fait que cette limite approche ou qu’elle est dépassée. Or tendre ou dépasser le seuil de ce qui est tolérable, c’est bien aller vers l’intolérable, et notamment vers une violence systémique. Et en l’occurrence, les radicaux connaissent très bien le sujet des violences et oppressions systémiques et travaillent énormément dessus.
Murs blancs, peuple muet
A ce titre, l’exemple de l’effacement du tag « à Selom Matisse 59 », est tout à fait symptomatique de ce clivage. Car sous une bonne intention de « nettoyage », le geste invisibilise une violence policière ; indubitablement systémique. De fait, même si c’est indirect, cette invisibilisation tend à nier les violences en question, en invisibilisant ses victimes. Or, comme ces violences et ces victimes ((https://desarmons.net/index.php/2017/12/16/selom-et-mathis-morts-percutes-par-un-train-en-fuyant-la-police-a-lille-le-15-decembre-2017/)) sont le résultat d’un arbitraire systémique oppressif, cet effacement tend à nier ces caractéristiques, et tends donc à les tolérer, à les perpétuer, voire les renforcer pour celleux qui les subissent.
En somme, cette invisibilisation se fait alliée de l’oppression systémique et de sa violence.
Alors pour répondre à cela, on peut opposer une circonstance atténuante, en argumentant que celleux qui ont effacé ce tag ne savaient peut-être pas à quoi ce dernier faisait référence. Iels l’auront effacé au même titre que n’importe quel tag.
Mais les critiques ne sont pas dupes de cette possibilité.
En tant que telle, la méconnaissance des prénoms n’a rien de condamnable. Moi-même, et j’en suis attristé, je ne me rappelais pas des prénoms de ces disparus avant que cette anecdote ne ressorte dans les maladresse de XR.
Mais en l’occurrence celleux qui ont effacé ce tag n’ont certainement pas même pensé une seule seconde qu’il s’agissait d’un hommage à des victimes de violences policières.
Là encore, rien de grave en tant que tel, mais on tient ici l’illustration d’une chose bien plus profonde : iels n’ont pas eu ce réflexe car iels n’ont pas la ‘‘culture des violences policières’’ susceptible de nourrir ce réflexe. Et iels n’ont pas cette culture car il ne la subissent pas ou ne s’y confrontent manifestement pas (en se renseignant sur le sujet ou en s’y montrant activement sensible, par exemple).
En cela, et de manière tout à fait innocente, candide pourrait on dire, iels jouissent d’un privilège et en abusent pour invisibiliser activement une oppression à laquelle iels ne sont pas confrontés, et de laquelle iels se tiennent à distance.
Cette innocence semble donc tout à fait neutre, mais dans les faits, elle ne l’est pas du tout ; bien au contraire. Et pire : elle renvois la violence de ce privilège aux victimes elles-mêmes, en ne tolérant pas leur expression.
Alors oui, les radicaux sont vent debout face à cela, et montent aux crénaux… mais dans le fond, c’est pour que XR fasse amende honorable face aux maladresses candides qui illustrent les privilèges dont jouissent les militants du Châtelet, et qui leur font marcher sur les pieds d’autres franges militantes sans même le vouloir, créant autant de débat, de dissensions et de renforcement des violences subites par ces dernières.
Mais surtout, surtout, pour que ces opprimés puissent sentir concrètement, activement que XR est leur allié sincère et autocritique, et non-pas l’allié de leur oppresseur empêtré dans une posture de déni.
Car comme le résumait avec brio Desmond Tutu (pourtant loin d’être un partisan de la violence…) :
« Rester neutre face à l’injustice, c’est choisir le camp de l’oppresseur ».
Niko_DdL – Octobre 2019
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